vendredi 4 juillet 2008

La kacha et le poulet à la Kiev de Tchekhov

La kacha est un plat russe traditionnel qui a été utilisé comme un met de cérémonie pour les mariages et les fêtes. Plus tard, Alexandre Nevsky en fait même une fête importante en 1239. Aujourd’hui, un proverbe russe nous dit qu’on ne peut nourrir un russe sans kacha. Tchekhov a eu l’idée de m’en faire goûter un qui n’était pas piqué des vers, en voici donc la critique.

Au premier regard, on voit que le résultat de la recette est une kacha visqueuse (il en existe trois types : liquide, visqueux et friable) qui oscille plus vers le friable. La base de la kacha est le grain, Tchekhov a choisi le sarrasin, un choix gouteux et nutritif. Cuit à base de bouillon de bœuf, on remarque le délice qu’elle inspire avec les champignons fins qui sont mis à contribution : morilles, pleurotes et chanterelles. Avec un peu de fenouil haché et de la crème sure, le mélange est très bon, quoique très nourrissant. Le seul point négatif de cette kacha est le sel : Tchekhov m’a candidement avoué l’avoir salée, ce qui la descend beaucoup par rapport à ce qu’il aurait pu être. Il faut également préciser que le camarade Tchekhov a fait une kacha relativement complexe : normalement, cette recette peut s’exécuter avec beaucoup moins d’ingrédients et dans un laps de temps de 20 minutes.

Mais allons-y pour la critique que Tchekhov désire ardemment : le poulet à la Kiev. Est-ce là une recette authentique de la Russie? En fait, ce poulet a été confectionné par un français, Nicolas François Appert (1749-1841) pour Elizabeth 1re de Russie. L’origine du nom « Poulet à la Kiev » pourrait provenir des restaurants de New York, qui, pour accommoder leur clientèle ukrainienne, aurait ainsi baptisé son poulet. Voilà donc un argument de taille pour convaincre le camarade Tchekhov que la cuisine française n’est pas que l’incarnation du mal.

Ici, comme pour la kacha, Tchekhov n’a pas été un puriste : il s’est permis de rajouter un élément discordant : des truffes. En fait, ce glouton a mis deux truffes pour une seule poitrine de poulet (qui était, par ailleurs, bien généreuse). Une des particularités du poulet à la Kiev est qu’il est garni de beurre aux herbes au milieu, ce qui n’était pas le cas avec le poulet d’Oscar, qui était fourré aux truffes.

La première chose que j’ai remarqué, c’est que ce poulet était recouvert de pois verts en conserve, ce qui détériorait énormément l’aspect visuel et qui constituait quasiment une offense visuelle à un met si prestigieux. J’en étais un peu offusqué, mais lorsque j’ai commencé à déguster le plat, j’ai compris : les pois ont absorbé le gras et ils devenaient très goûteux. Puis, vint le moment où j’ai mis ma fourchette à contribution pour défaire le poulet, dont la panure était assez molle, gracieuseté des pois, j’ai pu le sentir céder sans effort. Dans la bouche, j’ai senti que je perdais mon combat des chefs : un poulet qui n’est pas sec, goûteux, très goûteux même, avec une panure qui le rehausse et le beurre, que je soupçonne irlandais. Tout ça pour dire que le tout était fantastique : je mangeais avec allégresse, accompagné de la kacha, je sentais les truffes qui s’étaient propagées à travers la poitrine (normalement, on met une truffe pour quatre poitrines), l’onctuosité de la chair, un certain goût poivré et frais, ainsi que le gras, qui donne toute la saveur.

J’ai peu de mots à la bouche, sauf celui de la vengeance, de l’espoir de faire un meilleur plat, un repas plus grandiose, de devancer celui qui a (finalement) repris le flambeau de la cuisine. J’ai le goût de dire à Oscarovitch qu’il a finalement vaincu une partie de ses vieux démons et que je le vois dans le raffinement qu’il a mis à faire ce met divin. Il ne me reste qu’à remettre mon chapeau et de me mettre au travail.

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