samedi 20 février 2010

Le bonheur et le foie gras sont des synonymes

Les plus scientifiques d’entre vous savent peut-être que tout bonheur est en réalité une question de sécrétion d’hormones de plaisir (ocytocine, sérotonine, mélatonine, endorphine, etc.), mais qu’en est-il du foie gras? Produit-il l’hormone du plaisir louisvincentesque, ce plaisir extrême et difficile à définir qu’on obtient lorsqu’on mange de bonnes choses (ou lorsque l’on pense à manger de bonnes choses).

Pour le découvrir, j’ai décidé d’utiliser une partie d’un bien bon cadeau que j’ai reçu quelques êtres chers : un coupon-cadeau pour des cours de cuisine. Ayant tout de même une certaine expérience dans le domaine, je désirais tirer profit de l’enseignement qui me serait prodigué : aussi ais-je décidé de m’inscrire au cours de foie gras. Une partie de moi désirait ardemment apprendre à cuisiner avec ce noble morceau, une autre voulait venger l’affront que mon père (un des instigateurs de ce cadeau) m’avait fait en me parlant des cours de cuisine qu’il avait pris et dont il m’a si souvent fait l’éloge.

Je suis arrivé à l’atelier un peu comme on arrive à son lieu de travail la première fois : trop tôt, stressé et pas particulièrement zen. Le décor, bien qu’original (tout est en fait conçu avait des instruments de cuisines), me laissait présager une ambiance un peu plus hautaine que nécessaire. Un genre de chic postmoderne au look bien branché, mi-drôle, mi-hautain. Lorsque le décor est si important, il peut y avoir deux raisons : le décorateur a du goût et désire faire bénéficier le consommateur d’une ambiance particulière, mais néanmoins chaleureuse, ou encore, les cours sont de piètre qualité et l’on souhaite faire oublier cela en étant dans une ambiance tape-à-l’œil et clinquante.

Nous avons rencontré notre chef quelques minutes par après : un bonhomme costaud d’une trentaine d’années qui nous a parlé de ses multiples expériences de travail et qui a commencé son cours avec un accueil chaleureux. Le gaillard s’exprimait avec beaucoup d’éloquence et sa voix claironnante, entremêlée d’un franc-parler me permettait de croire que le cours serait des plus intéressant. Son sens de l’humour faisait également en sorte que nos « bévues » ne soient pas considérées comme des âneries sans nom. Seul le groupe me laissait présager le pire : 3 couples, une mère et sa fille ainsi qu’un autre jeune homme comme moi, le tout dans une ambiance très froide, chacun ne parlait qu’à celui qu’il connaissait et les autres nageaient dans le silence.

Nous avons commencé par faire un bonbon de foie gras : il s’agit morceau de foie gras enrobé d’une feuille de chou blanchie servie avec une vinaigrette balsamique tiède. Il faut comprendre que toutes les étapes de la confection des plats étaient dans un de ses fouillis étant donné le temps de préparation de certains éléments. Au bénéfice des lecteurs, je ne décrirai que brièvement les recettes et non leur préparation. C’était somme toute une entrée : l’intérêt de varier les types de cuisson, car les bonbons étaient cuits à la vapeur, enrobés de pellicule plastique. Ce plat était très bon et permettait entre autres de bien préserver le foie gras, étant donné qu’il était emballé.

Le plat de résistance était un raviole de foie gras (enrobé avec du prosciutto). Avec une farce constituée de raisins secs blonds, de canneberges, de lardons, d’oignon français, d’un peu d’ail, de thym et d’estragon, nous étions certains de la réussite de la chose. Ça sentait bon dans la cuisine, et nous mettions la farce, parcimonieusement, dans les ravioles en ayant l’eau à la bouche (ainsi que l’insatiable envie de manger tout le prosciutto).

Lorsque nous sommes passés à table, quel ne fut pas l’extase, la joie, le bonheur, l’euphorie, la félicité, la jouissance et l’orgasme de goûter la nourriture la plus exquise que je connaisse : j’aurais volontiers troqué cinq ans de ma vie pour pourvoir mon besoin d’en manger davantage. Simplement couvert d’une salade de roquette somme toute frugale, mais néanmoins aromatisée à l’huile de noisettes, au zeste de citron et au jus de ce dernier, avec des écorces de fromage parmesan généreusement râpées par mon auguste personne, on dirait que la perfection s’était métamorphosée en repas. J’ai poussé l’audace jusqu’à manger quatre petites ravioles et j’en avais déjà mangé trop : mon ventre ballonnant criait grâce et mes papilles, avides d’être stimulés pour obtenir un coït multiple qui n’en finirait plus, cherchaient vainement à convaincre mon lobe préfrontal d’amenuiser les réticences que j’avais à dévaliser mes collègues de table. Fort heureusement, j’avais eu l’idée géniale d’attendre en dernier pour me servir et d’ainsi « nettoyer » les denrées restantes. Je me suis calmé les nerfs grâce à un verre de vin de porto, qui était somme toute fort peu robuste en comparaison de ce plat, provoquant chez moi un tout petit regret : ne pas avoir choisi un vin de vendanges tardives. À ce moment, l’ambiance commence à changer et les gens se parlent. Je commence à déclamer des phrases en allemand à mon voisin de table, qui est d’origine germanique.

Par la suite, nous devions confectionner le désert : un beignet aux pommes et au foie gras poêlé. Il est inutile de le préciser, mais j’étais déjà rassasié. J’ai insisté pour faire la pâte tempura ainsi que pour poêler le foie gras (en utilisant la huitième merveille du monde : les ronds à induction). J’ai appris à mettre des croisillons dans les foies que nous avions : c’est simplement un élément de décoration, mais comme c’était beau! Par ailleurs, nous avions commencé la séance en réduisant une bouteille de vin de Sauternes à un seizième et en y ajoutant du miel. Nous avons eu le plaisir de napper le beignet de cette réduction, ce qui n’a pas été sans peine, étant donné l’état désinhibé du groupe qui commençait à devenir trop à l’aise, le vin aidant et les langues se dénouant. J’ai donc tenté de continuer à manger, ce qui dépassait la simple convenance. N’étant plus capable d’ingérer quoi que ce soit, j’ai tout de même poussé la note jusqu’à goûter à la demande spéciale d’une femme mariée à un homme d’origine française, dont toute la famille œuvre dans le domaine de la pâtisserie : elle désirait obtenir le secret du caramel salé. J’ai donc courageusement trempé un quignon de pain dans l’épaisse mixture pour goûter la finesse du sucre chauffée et mélangé à la crème 35 %. Je suis donc en ayant assimilé beaucoup (au propre comme au figuré) de l’expérience culinaire que je venais de vivre avec grand bonheur. Je ne pourrai probablement jamais assez remercier les personnes qui ont rendu cette chose possible, mais à Carl, Angélique et papa, je vous adore, il y a longtemps que je n’avais pas vécu une joie d’une telle ampleur!

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