lundi 25 octobre 2010

L’affaire est dans le sac

En sortant de la bouche de métro, il marche d’un pas rapide, il a l’air pressé par le temps. Il longe plusieurs rues. En attendant à la lumière, il tape du pied. Il reprend son chemin sans s’arrêter, jusqu’au moment où il arrive à destination et ouvre une grande porte. Une fois à l’intérieur, il se fait introduire à Rodolfo, le chef qui l’instruira sur l’art des aumônières au saumon, des baluchons poulet et chorizo et des bananes flambées au rhum. Ce sera un cours très intime, seuls deux autres convives seront de la partie, deux femmes tout juste retraitées, qui viennent stimuler leur plaisir à cuisiner.

Rodolfo est diplômé de l’école Cordon Bleu à Paris (2007). Ce Brésilien d’origine a travaillé ici et là et il est arrivé au Québec dernièrement. Ayant œuvré dans quelques établissements gastronomiques du centre-ville de Montréal, il a réalisé qu’il désirait davantage partager sa passion culinaire par l’entremise de l’enseignement. Ses yeux pétillants révèlent une âme éprise d’une passion insatiable, vibrante et contagieuse pour son domaine de prédilection.

Le nouveau venu s’installe timidement à sa place de travail, où sont installés deux couteaux : l’un de chef et l’autre d’office. Après une brève poignée de main avec ses convives sexagénaires, nommées Marjolaine et Josée, Rodolfo lui offre la place derrière le poêle à induction pour commencer le caramel au beurre salé. Assez rapidement, le sucre commence à fondre et il est temps de rajouter le beurre, puis la crème 35 %. Le temps d’aromatiser le tout avec un mélange broyé de poivre blanc, de gingembre, de cannelle et de clous de girofle, puis le principal intéressé dépose la casserole à l’extérieur de la plaque de cuisson.

L’homme, tantôt stressé et tendu, est maintenant à son aise. Il coupe, avec ses comparses, les légumes d’accompagnement. En suivant les conseils du chef, il arbore un grand sourire béat. Josée saisit rapidement les blocs de saumon à la poêle, tous justes assaisonnés de sel et de poivre fraichement moulu. Il salive en regardant la scène, au plus profond de lui, il se régale déjà des yeux. Il jubile, son système dopaminergique fonctionne à plein régime. Il apprend enfin un signe avant-coureur d’un saumon raté : s’il se dégage de l’albumine, le poisson est alors trop cuit. Avec la pâte phyllo, ses comparses et lui emballent chacun un morceau de saumon. Subséquemment, ils bouclent tous leur aumônière avec une échalote française passée à l’eau chaude. La préparation repose pendant que l’on termine les légumes (carotte, zucchinis, échalote française, poivron rouge, oignon blanc, ail). On fait bien sûr cuire les carottes à part, pour les rajouter à la toute fin. L’huile de canola est utilisée à la cuisson : elle se distingue des autres, car elle ne contient pas d’aspérités qui se dégraderont à la cuisson, comme avec l’huile d’olive par exemple. Pour aromatiser le tout, une pincée de graines de coriandre moulue, du curcuma, du persil et un fond de vin blanc. Les carottes viennent rejoindre la mixture, puis, à la toute fin, la main de Rodolfo ajoute nonchalamment de l’huile d’olive, une fois le plat retiré du feu.

Les aumônières au four, on dresse les assiettes à risotto pour garnir le fond de légumes chauds et croquant tout en décorant l’assiette avec une réduction de vinaigre balsamique. On pose l’aumônière au-dessus des légumes et on le garnit avec des pousses de moutarde.

Il s’assoit à la table avec ses nouveaux convives, ils commandent ensemble une bouteille de Pinot Noir, l’homme s’installe à son aise, il se sent bien. Ensemble, ils portent un toast à la santé, se souhaitent mutuellement bon appétit et attaquent l’entrée sans autre mesure. Chaque bouchée fond dans la bouche, le saumon se soutient bien dans la pâte phyllo et les légumes, encore assez croquants, sont juste assez relevés pour que leur saveur naturelle soit rehaussée par les épices utilisées.

De retour à la cuisine, armés de leur verre de vin, ils s’attaquent au second plat, un baluchon au poulet et à la saucisse chorizo, avec une salade aux concombres, aux oignons rouges, nappée d’une vinaigrette à la moutarde de Dijon, à l’huile d’olive, au miel et au vinaigre de citron. Très simple, la pâte Brick, badigeonnée des deux côtés d’une bonne couche de beurre fondu, sert à marier le poulet préalablement doré (des hauts de cuisse) au chorizo. Plus ferme que la pâte phyllo, on peut s’amuser à la triturer dans toutes les formes, tant elle est polyvalente et malléable. Encore une fois, au four, le temps de brunir cette pâte, puis dans l’assiette, garnie de la salade et d’un bouquet de pousses de moutarde.

De nouveau à table, avec Rodolfo cette fois, ils s’amusent ferme. Le chorizo, bien qu’assez fort, ne jure pas avec le reste et, au contraire, rehausse le poulet. Le Pinot Noir, dont on ne tarira jamais d’éloges, est assez fort pour soutenir cet accord, bien qu’on sente qu’il s’agit de la limite entre le fin alliage de robustesse à la délicatesse par rapport à l’accord du plat qu’il doit soutenir. Le fait qu’il ait passé l’oignon rouge à la mandoline fait en sorte que l’homme, habitué à conspuer les amateurs d’oignon, mange sa salade avec cœur, commettant même l’hérésie de s’en servir une deuxième portion, bien entendu accompagnée d’un autre baluchon (mais quel goinfre)!

Puis, pour la finale, nos trois protagonistes, accompagnés de leur chef, se rendent une dernière fois à la cuisine, question de préparer le dessert. Le chef le désigne encore, pour qu’il fasse flamber les bananes au rhum. L’homme, tout sourire, s’exécute avec un malin plaisir, d’autant plus que les flammes atteignent presque un mètre de hauteur. Il éteint le feu en remettant la poêle sur le rond et cette dernière meurt tranquillement dans un étrange silence. Le temps de mettre quelques tranches de brioche à cuire (au beurre bien entendu) et de garnir généreusement nos assiettes de crème glacée, ils retournent une ultime fois à la cuisine, pour déguster le fruit de leur labeur. Rodolfo parle beaucoup de son amour de la gastronomie et ses paroles semblent être, pour ses convives, aussi délicieuses que le désert qu’ils consomment et que le café que leur hôte leur a si gentiment préparé. L’homme est repu, Marjolaine et Josée le sont également, ils saluent chacun leur tour le chef, à qui chacun d’entre eux laissera un généreux pourboire pour être parti plus d’une heure après la fin des activités. Ils rentreront tous ensembles, souriants, laissant derrière eux un Rodolfo ému et ayant visiblement passé une bonne soirée.

1 commentaire:

Oscar Chica a dit...

Lire cet article est de la torture soviétique pour un homme condamné à manger de la patate à tous les jours!